L’intelligence artificielle présente partout dans notre quotidien ?

Publié : 5 avril 2023 à 7h00 par Étienne Escuer

Les systèmes d'intelligence artificielle sont présents partout dans notre quotidien.
Les systèmes d'intelligence artificielle sont présents partout dans notre quotidien.
Crédit : Pixabay - Photo d'illustration

Dans le cadre de notre dossier spécial consacré à l’intelligence artificielle, focus aujourd’hui sur les différents usages de l’IA dans notre quotidien. Pour en parler avec nous : Jérémie Méhault, senior data scientist au Lab’IA Loire Valley.

Comment peut-on définir l’intelligence artificielle ?

 

Jérémy Méhault : L'intelligence artificielle, c’est faire faire à une machine, un ordinateur, quelque chose pour lequel l'humain est capable, pour lequel l'humain est doué. Il y a plusieurs niveaux d'intelligence artificielle. Le premier niveau basique, où l'humain programme la machine pour que la machine refasse exactement les instructions. Si l’on prend l’exemple du jeu « Qui est-ce ? », l'intelligence artificielle de bas niveau, c’est poser une question (« est-ce que c’est un homme ou une femme ? ») puis une autre (« est-ce qu’il ou elle a des lunettes ? »). Vous programmez la machine au fur et à mesure et la machine applique les règles que vous définissez. Il y a ensuite un niveau intermédiaire qui est l'apprentissage de la machine. Là, l'humain renseigne un certain nombre de caractéristiques sur les personnages et la machine va d'elle-même identifier les caractéristiques qui semblent pertinentes pour répondre à une question. Elle va par exemple identifier que principalement, les personnages qui ont des boucles d'oreille sont les femmes. Enfin, il y a le niveau plus avancé, qui est l'apprentissage profond, le « Deep learning ». La machine identifie par elle-même les caractéristiques et leur importance dans la résolution de la question. L'humain, à ce niveau-là, n'intervient plus que pour concevoir le programme.

 

Ces systèmes d’intelligence artificielle sont-ils utilisés depuis longtemps ?

 

J.M : L'intelligence artificielle se base sur des outils mathématiques et statistiques qui sont connus depuis très longtemps, comme des lois de probabilité. Elle s’est nourrie de l'évolution des techniques mathématiques et des technologies informatiques pour prendre son essor il y a quelques dizaines d'années. L’intelligence artificielle, il faut plutôt voir ça comme des algorithmes. Les algorithmes existent dans le monde de la recherche depuis bien longtemps. Puis, les banques et les assurances qui avaient accès à des masses de données sur leurs clients se sont mises à utiliser ces outils. Et après, avec l'essor des réseaux sociaux, du commerce en ligne, cela s’est développé encore.

 

Aujourd’hui, l’intelligence artificielle est-elle présente partout dans notre quotidien ?

 

J.M. : L'objet le plus proche de vous, probablement, c'est votre téléphone portable ou votre ordinateur. Sur le téléphone portable, vous avez des capteurs qui récoltent de l'information : la localisation, un aimant, un micro, la luminosité, etc. Avec tout ça, vous captez des informations sur votre environnement et en fonction de l'usage que vous voulez faire de tel ou tel capteur, vous avez des applications qui existent. Cela peut être par exemple la transformation de voix en texte : vous parlez au micro du téléphone et vous avez une conversion entre la parole et le texte. C'est un système d'intelligence artificielle qui fait ça.

 

Cela peut être utilisé dans tous les domaines ?

 

J.M. : L’IA est utilisée globalement dans tous les domaines d'activité. Dans le marketing, quand vous vous promenez en ville, vous pouvez recevoir des promotions en fonction de votre localisation par rapport à des magasins. Dans la banque, l’exemple le plus parlant, c'est l'attribution des crédits immobiliers, ou bien la détection de fraude bancaire. Dans l’automobile, vous avez une intelligence artificielle sur la gestion de la conduite. Pour la santé, l’intelligence artificielle aide les médecins à identifier des pathologies sur des images radio ou des électrocardiogrammes. Le paradoxe, c’est que plus une technologie est compliquée, plus son usage va être simplifié. Et finalement, ce que l'utilisateur voit, c'est uniquement une sorte d'interface avec une réponse qui est très, très simple. Le dernier système d’IA en vogue, c’est ce fameux ChatGPT qui est capable, à partir d'une phrase, de construire un texte. L'interface est très simple, mais le modèle derrière est extrêmement complexe.

 

Toutes les données peuvent-elles être utilisées par ces systèmes ?

 

J.M. : Oui, tout type de données peut être utilisé. Quand sur votre téléphone, vous avez un capteur de luminosité, vous pouvez voir la luminosité de la journée, avec des données qui sont temporelles, par exemple. Une image est une donnée, un film est une donnée, même un document papier est une donnée, il suffit de le scanner et de le faire interpréter par des outils informatiques. Toutes les traces d'activité des utilisateurs sur Internet sont des données et donc tout cela peut être utilisé. Mais la question de l'usage des données n'a pas de pertinence sans question sur l’intention. Avant de collecter de la donnée, il faut savoir quoi en faire.

 

Quels sont les avantages que présente l’intelligence artificielle ?

 

J.M. : Les systèmes d'intelligence artificielle ont plusieurs usages. Le premier, ça peut être de comprendre ce qui se passe dans les process. Pour une entreprise industrielle qui fait de la découpe sur tôles, c’est par exemple déterminer quelle est l'évolution de perte de matière au fur et à mesure et essayer de trouver les leviers qui font que l’on va être capable de réduire ces pertes. Dans le domaine de la cosmétique, vous n'avez que très peu de parfums qui sont commercialisés par rapport à tout ce qui a été créé en laboratoire, donc une façon d'optimiser, ça peut être de développer un algorithme qui soit capable de faire des propositions d'assemblage de senteurs qui ne soient pas inutiles. Pour l’industrie, encore une fois, si vous avez une chaîne de production qui s'arrête à cause d'une panne, vous pouvez faire de la maintenance prédictive, c'est-à-dire intervenir sur la machine avant que la panne n'ait eu lieu.

 

Quelles sont les limites de ces systèmes d’IA ?

 

J.M. : Il y en a plusieurs. Quand vous développez un système d'intelligence artificielle, il se base sur des données, qui peuvent évoluer au cours du temps. Par exemple, si l’on prend la location de vélos dans une ville, vous avez une saisonnalité dans l’année. Si vous développez un système de prévision des locations de vélos juste avec les données de l'été, votre prévision ne pourra pas s'adapter à l'hiver. Autrement dit, la première limite des systèmes d'intelligence artificielle est liée au périmètre de la question que vous posez et à laquelle vous voulez répondre. Le deuxième est dans l'usage : si vous avez un système d'IA qui interagit avec la vie des personnes, vous allez devoir prendre en compte certaines questions éthiques, pour que personne ne soit stigmatisé par la décision proposée par le système d'intelligence artificielle.

 

L’intelligence artificielle va-t-elle remplacer les humains ?

 

J.M. : L'humain est toujours à la base. D'ailleurs, dans ce qu'on appelle l’IA responsable, il y a un des paradigmes qui est que l'humain doit rester dans la boucle. Autrement dit, l'humain doit rester maître de la décision proposée par le système d'intelligence artificielle. L'humain doit pouvoir corriger ce que la machine propose. Ensuite, la machine ne peut pas se programmer elle-même. Les systèmes d’IA sont programmés pour une tâche bien précise et sont incapables d'étendre leur périmètre d'action. Un système qui est capable de téléphoner, il ne va pas être capable de faire autre chose que de téléphoner ou de faire de la conversion de voix en texte. Il y aura donc toujours besoin d'humain pour programmer et corriger ce qu’il se passe. Et il y a aussi un côté un peu caché de l’intelligence artificielle, où l’on aura toujours besoin d'humains pour annoter les documents que l'on veut lui faire ingérer. C'est quelque chose qui est très coûteux, mais c'est comme ça que les algorithmes sont par exemple capables de reconnaître une image : parce que vous avez d’abord eu des humains qui ont annoté sur chacune des images la présence de chiens, de chats, de voitures ou d’avions.

 

Les métiers sont-ils aujourd’hui transformés par l’IA ?

 

J.M. : Comme toute transformation dans une société, il y a des emplois qui sont réorientés. Les systèmes d'intelligence artificielle permettent de remplacer du travail ou des actions à très faible valeur ajoutée, autrement dit des tâches qui sont répétitives et inintéressantes pour les personnes qui font ces actions. Ensuite, vous avez des systèmes d'intelligence artificielle qui sont là aussi pour optimiser des process, c’est-à-dire identifier des leviers d'action qui répondraient à une volonté de rapidité d'exécution d’une certaine tâche ou de plusieurs tâches. Là, des métiers sont détruits, ou plutôt réorientés.

 

Toutes les entreprises s’intéressent-elles désormais à l’intelligence artificielle ?

 

J.M. : Au Lab’IA Loire Valley, on accompagne des entreprises de toutes tailles, depuis la start-up jusqu'aux grands groupes. Mais il y a différents axes de travail. Tout d'abord, un axe de sensibilisation : comprendre de quoi il s'agit, quels en sont les enjeux, les limites. On a aussi une notion de formation, c'est à dire faire monter en compétence les personnes au sein des entreprises pour qu'elles puissent s'approprier l'usage des données. Et puis il y a un axe d'accompagnement et de réalisation de projets. Les entreprises sont intéressées puisque l'intelligence artificielle est un mot à la mode depuis quelques années. Elles voient parfois un peu ce qu’elles pourraient en faire, mais l'appliquer directement sur un cas d'usage métier, comme on dit, peut poser question, donc on les accompagne. D’autres ont déjà une bonne idée de ce qu'elles voudraient faire et on accompagne à un niveau un peu plus élevé. Mais en tout cas, pour les entreprises qui arrivent ne sachant pas trop quoi faire de leurs données, on est toujours sur cette vision : d'abord, on voit ; ensuite, on essaye de comprendre un indicateur qu'on a identifié ; et puis enfin on essaye d'adapter en fonction de la question qui est posée, du besoin de l'entreprise.